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Le travail de l’os, du bois de cerf et de la corne à l’époque romaine : un artisanat en marge ? Actes de la table ronde instrumentum, Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005 sous la direction de Isabelle Bertrand co-édition monique mergoil montagnac Association des Publications Chauvinoises 2008 In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? (Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 1-2 SOMMAIRE INTRODUCTION Le travail de l’os et du bois de cerf à l’époque romaine : bilan et perspectives de la recherche sur un artisanat “mineur” Isabelle BERTRAND – p. 3-13 Technologie des matières dures d’origine animale à l’Âge du Fer en Europe celtique Delphine MINNI – p. 15-23 Une grille d’analyse pour décrire et comparer des ateliers de tabletiers ? Michel FEUGÈRE, Vianney FOREST, Philippe PRÉVOT – p. 25-33 Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première approche Annick THUET – p. 35-45 L’artisanat de l’os dans la ville-sanctuaire gallo-romaine du Vieil-Évreux (Eure). État des connaissances Laurent GUYARD – p. 47-53 avec la collaboration de S. Bertaudière, S. Zeller, C. Fontaine, J.-P. Goupy Le travail de l’os à Rennes (Ille-et-Vilaine) à travers un canif à manche sculpté trouvé 3-5 rue de Saint-Malo Françoise LABAUNE – p. 55-63 avec la collaboration de G. Le Cloirec Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C. Dominique CANNY, Jean-Hervé YVINEC – p. 65-84 avec la collaboration de D. Labarre, M. Aubrun Une fabrication de colle d'os dans le quartier de La Grande Boissière à Jublains (Mayenne) ? Vianney FOREST – p. 85-100 Le travail de l’os et du bois de cerf à Lemonum (Poitiers, F) : lieux de production et objets finis. Un état des données Isabelle BERTRAND – p. 101-144 1 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? Os, bois de cerf et ivoire à Rom (Deux-Sèvres). Quelques éléments de réflexion sur l'approvisionnement en matière première et la distribution des objets dans l'agglomération Isabelle RODET-BELARBI, Nadine DIEUDONNÉ-GLAD – p. 145-163 Un artisanat de l’Antiquité tardive dans le théâtre de l’agglomération antique de Drevant (Cher). La production de fusaïoles et autres objets en bois de cerf et os Christian CRIBELLIER, Isabelle BERTRAND – p. 165-185 Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Isabelle BERTRAND – p. 187-193 État des connaissances sur la production de l’os à Orange (Vaucluse, F). Étude et comparaison des ateliers du travail de l’os Philippe PRÉVOT – p. 195-229 Les matières dures animales (os, bois de cerf et ivoire) dans la vallée de l’Hérault : production et consommation Michel FEUGÈRE, Philippe PRÉVOT – p. 231-268 La collection de tabletterie du Musée romain de Nyon (CH) Caroline ANDERES – p. 269-274 Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai typologique Émilie ALONSO – p. 275-281 Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines : l’exemple de la tabletterie Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENČNIK – p. 283-309 Letti funerari in osso di età romana: aspetti della produzione e diffusione alla luce di alcuni rinvenimenti in Lombardia. Presentazione preliminare di un letto da Cerveteri (Roma) Chiara BIANCHI – p. 311-334 L’artisanat du bois de cerf à Iuvavum/Salzbourg, Autriche. Les manches de couteau Felix LANG – p. 335-342 2 In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? (Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 187-193 Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Isabelle BERTRAND Les fouilles anciennes dirigées par G. Mallard ont livré cinq peignes et un étui ; les travaux récents (1999) menés sur le théâtre sont à l’origine d’un second étui. Cet ensemble d’accessoires de la coiffure et de la toilette se compose de modèles différents correspondant à des productions gallo-romaines tardives encore trop peu étudiées (2). (1) Os / alliage cuivreux Inc. L. cons. : 107 ; l. : 52,7 ; ép. max. : 8 mm L’extrémité conservée est profilée avec des angles arrondis. Les appliques transversales (l. : 16 mm) sont fixées par six séries de deux rivets en alliage cuivreux ; elles portent cinq décors disposés irrégulièrement, composés de triples ocelles entourés de six petits, le tout compris dans un cercle. Certaines dents parmi les plus larges sont anormalement courtes et ont des extrémités rainurées et arrondies avec de petites entailles ; soit le profilage aurait raté, soit une reprise de leur profil après cassure aurait été amorcée mais interrompue. L’objet est teinté de vert surtout autour des rivets. Peignes à double denture et baguette transversale unique Ces peignes sont formés de plaquettes dentées accolées, maintenues entre deux plaquettes transversales ou traverses (3), placées sur chaque face ; le tout est assemblé par des rivets en métal (alliage cuivreux ou fer). Les décors apportés sur les traverses, la découpe et l’ornementation des extrémités permettent la distinction suivante : 3 – Peigne à décor rainuré sur les traverses et décor d’ocelles sur les extrémités (fig. 1, n° 3) N° : D. 907.48.127 Os / fer Inc. L. totale : 65,5 ; l. : 37,5 ; ép. max. : 10,7 mm Reste une extrémité de l’objet, soit un quart environ. Les bords sont découpés ; sur les deux faces, un motif d’ocelle double entouré de onze ou douze petits ocelles (suggérant une fleur) occupe les parties arrondies. Les traverses, larges de 11 mm et de section planconvexe, sont ornées de 2 x 6 rainures obliques disposées en chevrons et fixées par des rivets en fer (deux sont préservés). 1 – Peigne à décor rainuré sur les traverses (fig. 1, n° 1) N° inventaire : D. 907.48.125 Os / fer L. totale : 122 ; l. conservée : 59,8 ; ép. max. : 2,3 mm Ce peigne conserve presque la totalité de ses dents régulières ; les extrémités présentent une découpe arrondie. Les traverses de forme rectangulaire, larges de 14 mm et de section bombée, sont décorées de sept séries de deux rainures croisées séparées par une rainure transversale ; elles sont maintenues par six rivets en fer. 4 – Peigne à décor rainuré sur les traverses et extrémités ajourées (fig. 1, n° 4) N° : D 996.7.10 /907.48.128 Os / fer ; dentures brisées presqu’en totalité. L. totale : 93 ; l. conservée : 45 ; ép. maxi. : 2,3 mm 2 – Peigne à décor rainuré et ocellé sur les traverses et extrémités aux bords sinueux (fig. 1, n° 2) N° : D. 996.7.11 / 907.48.126 / 931.84.206 (1) Musées de Chauvigny ; chercheur associé à l’UMR 5140 CNRS Lattes (équipe Techniques, Productions et Consommations). (2) Si pour les fusaïoles, le bois de cerf a été systématiquement utilisé, pour les peignes et les étuis, le matériau n’a pas été déterminé. À défaut, dans certains cas, nous employons le terme générique d’“os”. Dans la description : Inc. : incomplet ; L. : longueur ; l. : largeur ; ép. : épaisseur. (3) Différents termes sont employés pour désigner ces éléments : plaques-appliques ou joues (Chandeveau 2002, 43). 187 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? Fig. 1 – 1-5. Peignes provenant des fouilles du théâtre de Drevant (1901-1905) ; 6-7. Étuis provenant des fouilles du théâtre de Drevant (1901-1905 et 1999-2006) (Dessin : J.-C. Cédelle). 1 2 3 4 0 3 cm 5 6 188 7 I. Bertrand – Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Le corps se compose au centre de cinq plaquettes dentées, longues de 11 mm. Deux plaques forment les extrémités (L. : 16 mm max.), avec bordure externe découpée pour former un motif de demi-cercle et de pointes ; trois perforations circulaires sont ménagées au niveau des arrondis. Les deux baguettes de maintien, larges de 14 mm et de section plan-convexe, sont ornées de rainures transversales aux extrémités, au centre deux séries de deux rainures encadrent des rainures obliques ; deux séries de chevrons se trouvent sur les autres parties. Six rivets en fer sont alignés sur l’axe médian de la baguette qui est fendue à plusieurs reprises (4). À l’ancien Archevêché de Sens (Yonne), un des peignes découverts possède des extrémités et des traverses pouvant être rapprochées des éléments de celui de Drevant (Musée municipal de Sens, D.85.1.52) (5) ; de même, une pièce semblable (extrémités avec perforations, décor de chevron sur les traverses) vient de Genolier (Suisse) où elle est datée du Ve s. et côtoyait des pièces de tradition burgonde (Escher 2006, 32). 1986, 21, variante C ; pl. 5, n° 56) (fig. 2) composé de trois éléments : deux plaques formant le corps à poignée arrondie, une troisième portant la denture. Les dimensions de la pièce conservée à Drevant s’accordent avec celles de ce type, caractérisé par sa taille importante et sa poignée arrondie. Le motif est composé d’un entrelacs d’ocelles dont le centre est souligné de petits cercles (diam. : 2 mm) ; audessus figurent des ocelles doubles (diam. : 6 mm). De petits ocelles, identiques aux premiers, sont répartis sur toute la surface, aux deux extrémités de l’entrelacs et au-dessous. La plaque est brisée au niveau de la base de la partie arrondie qui formait la poignée ; de même à une extrémité, la cassure a été aplanie. Deux perforations circulaires accolées figurent à l’extrémité conservée ; deux autres destinées à fixer la plaque dentée sont apparentes, une troisième est occupée par un rivet en fer. Le bord inférieur de la plaque ne porte pas les traces laissées habituellement par la découpe des dents – visibles en partie sur l’exemplaire d’Augst (Riha 1986, 23, abb. 6 ; Deschler-Erb 1998, pl. 29, n° 1987) ; l’objet se serait brisé après assemblage avant la réalisation de la denture. L’artisan a peut-être tenté de réutiliser la pièce en réaménageant une extrémité, voire en effectuant une seconde perforation sur l’autre. Le peigne d’Augst est en bois de cervidé (DeschlerErb 1998, 169). Ce modèle à poignée semi-circulaire est bien connu en Germanie (Bernhard 1999, 19, fig. 3) ; en Pannonie, il est composé de cinq plaques et non de trois comme à Drevant et à Augst, son décor comprend des cercles ou des lignes ondulées, voire des motifs zoomorphes (Bíró 2002, 49-55, fig. 100-144). Peigne à simple denture et poignée arrondie 5 – Avec motif d’entrelacs (fig. 1, n° 5) N° : D.996.7.26 / 907.48.78 Bois de cerf (?) L. conservée : 124 ; épaisseur max. : 5,5 mm Il ne reste de ce peigne – identifié comme un élément de manche par J.-Cl. Béal (Béal 1984, n° 2) – que la partie transversale d’une des deux plaques entre lesquelles était maintenue par des rivets en fer, la plaque dentée. Il s’agit d’un type décrit par E. Riha à Augst (Riha Étuis Deux étuis ont été mis au jour dans le théâtre de Drevant. 6 – Étui (isolat 99007 ; US 2126) (fig. 1, n° 7) Bois de cerf / fer ; en deux morceaux concordants, collés. L. : 124,7 ; l. : 24 ; ép. max. : 8 mm Deux plaques sont assemblées par quatre rivets en fer ; elles présentent une décoration de doubles ocelles Fig. 2 – Peigne à poignée arrondie d’Augst (d’après DeschlerErb 1998, pl. 29, n° 1987 ; L. : 136 mm). (4) Dans un article de 1906, J. Mallard montre un peigne à double denture avec trois ajours aux extrémités (comme le peigne n° 4) et des traverses décorées, comme le peigne n° 1, de lignes croisées et droites (Mallard 1906, pl. XII, n° 18) ig. ?). Si elle existe réellement, cette pièce réunit donc des traits examinés sur deux autres, ce qui conforte le caractère homogène du lot (cf. conclusions). (5) Fiche de l’objet consultable dans la Base Joconde accessible depuis : www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr Dimensions du peigne : L. 104 ; l. 53 mm ; os et fer. 189 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? (diam. : 5 mm) disposés irrégulièrement, à raison de 41 ocelles sur une face et 43 sur l’autre. Les deux angles externes sont arrondis. L’ouverture destinée à recevoir la denture du peigne a été élargie dans l’épaisseur des plaques. Deux perforations circulaires situées près de l’ouverture de l’étui, aux deux bouts, traversent les deux plaques ; une rainure partant de leur bord vers le bord de l’étui apparaît sur les deux faces, entre ces deux trous, l’espace est de 78 mm. Cet objet diffère du précédent par son assemblage – seulement deux plaques rivetées –, son décor et ses dimensions ; il s’approche d’étuis pareillement agencés, dont les extrémités peuvent figurer un cheval (voir Deschler-Erb 1998, n° 1988, pl. 29) et sur lesquels les deux rainures obliques allant des perforations jusqu’au bord sont remplacées par des fentes (Bitenc, Knific 2001, 27-28, n° 69-70). Cette pièce provient de l’intérieur du bâtiment de scène, de couches d’occupation de l’Antiquité tardive. donc pas avec les exemplaires trouvés jusqu’à ce jour à Drevant. Il faut donc chercher des parallèles à cet objet, non pas dans la zone septentrionale de l’Aquitaine, mais plus au nord ou à l’est, jusqu’en Slovénie voire en Pannonie. Un étui de conception similaire, provenant de Predjama (Slovénie) est associé avec un peigne aux contours découpés et ajourés et dont le corps est orné d’ocelles répartis en ligne et en motif de fleur (Bitenc, Knific 2001, 28, n° 70 : fin IVe-Ve s.). Un peigne, découvert à Vron (Somme) en contexte funéraire germanique, est assemblé à un étui de type comparable (Petitjean 1995, pl. V, 1 d’après Seiller 1989) ; à Lisieux (Calvados), un même ensemble provient d’une tombe de la fin du IVe s. (Lisieux 1994, 97, n° 239). Commentaires La prise en compte de plusieurs critères, en s’appuyant notamment sur les distinctions émises par M. Petitjean (Petitjean 1995) : décors et formes des extrémités, section et décor des traverses, conduit à émettre quelques remarques typo-chronologiques (fig. 3). 7 – Étui (fig. 1, n° 6) N° : D.996-7-40 / 907.48.130 Os / fer ; brisé à moitié environ. Inc. L. conservée : 68,7 ; l. : 22,9 ; ép. max. : 4,5 mm Cet étui est composé de quatre pièces. Deux plaques rectangulaires aux angles arrondis, ornées de quatre rainures en bordure et d’un entrelacs d’ocelles sur son axe central, constituent les côtés. L’angle situé près de l’ouverture, brisé en partie, était peut-être découpé en motif zoomorphe. Les extrémités sont faites d’une plaquette avec encoches circulaires en bordure ; une autre plaquette forme le fond de l’étui, elle déborde du corps de ce dernier ce qui fait apparaître un alignement de petites perforations circulaires. Ces éléments sont assemblés par des rivets en fer (4 sont conservés) : deux fixent les extrémités, les autres maintiennent le fond de l’étui. Ce type d’étui correspond, d’après les ensembles publiés, à un peigne de forme triangulaire, aux contours parfois découpés en motifs zoomorphes ; il ne s’accorde Les peignes à double denture n° 1 et 2 présentent des caractéristiques de la fin de la période romaine, IVe-Ve s. : largeur des traverses de 14 mm et section rectangulaire voire bombée ; décor de rainures et d’ocelles, extrémités profilées pleines. Le peigne à poignée arrondie (n° 5), dont le modèle est considéré comme d’origine germanique (Ibid., 150), est présent à Augst dans un contexte de 350-400 ap. J.-C. ; son motif (entrelacs d’ocelles) est repris sur des pièces datées du IVe - début Ve s. en Slovénie. Enfin, l’étui n° 1 s’apparente à des objets dont les datations s’échelonnent de la fin du IIIe au Ve s. Le second étui illustre un autre type dont la datation est confirmée par son contexte : il provient d’un niveau de réoccupation du bâtiment de scène du théâtre contenant de la céramique du IVe s. Fig. 3 – Formes et décors des peignes et étuis de Drevant (P : peigne ; E : étui). 190 I. Bertrand – Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Deux peignes à double denture (n° 3 et 4) diffèrent des précédents par quelques traits : extrémités très découpées voire ajourées, traverses de section planconvexe et décor de chevrons. Ce dernier, décrit par M. T. Bíró comme “the pine-needle motif”, se trouve sur des pièces de la fin de la période romaine comme sur des pièces postérieures, en Suisse actuelle jusqu’en Pannonie (Bíró 2002, 39-40). Sur le peigne 3, sont combinés des motifs d’ocelles en cercles et des chevrons avec des extrémités profilées, tandis que l’exemplaire n° 4 comporte des extrémités ajourées et un décor de chevrons sérés. Ces deux peignes illustrent une production, par quelques traits différente, mais caractéristique également du Ve s. Alors que les structures métallurgiques attestées paraissent destinées à des artisans permanents ou du moins installés pour une certaine durée, rien ne permet d’envisager une situation similaire pour les artisans spécialisés dans le travail des matières dures animales (6). Nous ne savons pas si le fabricant de fusaïoles est aussi un pectinarius. Comme cela a été montré précédemment, le premier a besoin, pour réaliser ces pièces, de bois issus de la chasse, s’il veut disposer de la matière la plus appropriée, mais peut également recourir aux bois de mue ; dans les deux cas, il est donc étroitement lié aux périodes de collecte de ces derniers. En revanche le second, s’il utilise les parties des bois, mais aussi d’autres ossements, peut étaler son travail sur une période plus longue. La récurrence des décors présents sur les peignes et les étuis, également sur certaines plaquettes et parures venant du site (voir catalogue supra, p. 175), confirme au moins l’existence d’une communauté artisanale d’inspiration et aux techniques similaires. Quatre des peignes sont maintenus par des rivets en fer, technique qui prédomine dans les provinces romaines à la fin de la période selon M. Petitjean (Petitjean 1995, 153-154), alors que la tradition germanique privilégie les rivets en alliage cuivreux ; seul un peigne à double denture (n° 1) est riveté avec ce métal. Au cours du haut Moyen Âge, le fer reste prioritairement utilisé pour l’assemblage. Les réflexions menées en Bretagne à partir des peignes à double denture ont montré que ces accessoires étaient fabriqués par des artisans se déplaçant sur les marchés ; dans certains cas, cette production se déroulait également dans un atelier fixe (Crummy 2001, 107). L’ensemble de peignes et d’étuis de Drevant se révèle donc typologiquement varié tout en présentant une chronologie relativement homogène. Les traditions romaines tardives sont majoritairement présentes à travers les modèles représentés et les techniques de mise en œuvre des objets ; néanmoins, quelques traits ornementaux plus récents semblent faire leur apparition sur quelques pièces. À Drevant, si ces artisans étaient itinérants, ils pouvaient s’installer à certaines époques auprès des métallurgistes. Ils ont pu apporter certaines de leurs productions et les vendre sur place après avoir achevé une partie de la décoration, notamment celle des extrémités – ce processus ayant été mis en évidence à partir de pièces romano-bretonnes par N. Crummy (Ibid., 105-107 ; Crummy, à paraître) ; de même, réparaient-ils peut-être certains objets, comme l’indiquerait la denture irrégulière et non profilée d’un des peignes (n° 2). Ces objets sont essentiellement issus des recherches menées dans l’orchestra et le bâtiment de scène du théâtre ; la nature artisanale des réoccupations de l’édifice a été confirmée par les fouilles menées depuis 1999 (voir supra Cribellier, Bertrand, p. 165). La répartition des déchets liés au travail du bois de cerf et de l’os atteste la pratique de cette activité dès le IVe s., elle se déroule en parallèle du travail des métaux (fer et vraisemblablement les alliages cuivreux) aux IVe et Ve s. En Aquitaine, des peignes en os ou bois de cerf à double denture et traverse simple apparaissent en contexte du Bas-Empire notamment à Poitiers (Vienne) (cf. infra Bertrand, p. 101) et à Beaumont (Naintré) dans une sépulture (7) ainsi qu’à Bourges (Cher) (Ruffier, Troadec 1985, pl. 15) (8). Ils sont également présents en contexte plus récent (haut Moyen Âge) comme à Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) avec des formes Les peignes et les deux étuis sont vraisemblablement associés à une même occupation du site – celle correspondant à la période 5 (Cribellier et al. 2004, 1523) – en relation avec un ou des artisans du lieu. (6) La répartition des déchets d’après les fouilles récentes tendrait à prouver la saisonnalité de l’activité ; cependant, comme l’a rappelé Ch. Cribellier plus haut, nous ne connaissons pas la quantité de matière première ou de déchets que les fouilles anciennes ont pu découvrir et qui n’aurait pas été conservée. (7) Naintré (Vienne). Deux tombes exceptionnelles de la fin de l’Antiquité. Dossier de presse 6 avril 1998, DRAC Poitou-Charentes, p. 4. Ils sont sans doute présents ailleurs, mais les données publiées font défaut. (8) À décor de rainures ou de petits ocelles groupés avec extrémités ajourées. 191 Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ? Bibliographie à simple ou double baguette (Poignant et al. 2005). Récemment à Poitiers, à l’emplacement des Hospitalières, un peigne assemblé par des rivets en fer, à baguettes ornées de chevrons et d’ocelles, dont les extrémités sont découpées et perforées, a été prélevé dans une des tombes des Ve-VIe s. (Bertrand 2007, 143144, n° 22) (9). Les peignes à poignée arrondie ou triangulaire et les étuis, qui sont bien connus dans le nord-est des Gaules, dans le nord de la Lyonnaise et en Gaule Belgique (10), sont nettement moins nombreux voire inexistants dans les zones plus occidentales. Ils restent confinés au nord de la Loire et à l’est du Cher ; ainsi à Tours (Indre-et-Loire) ont été trouvés un peigne triangulaire à décor zoomorphe stylisé et un étui orné d’ocelles, tous les deux seraient en bois de cerf (Motteau 1991, 42-43, n° 217 et 218). La présence de pièces de tradition germanique à Drevant, également relevée au sein du mobilier en alliage cuivreux (pendant de ceinture, US 1113), s’explique par la position de l’agglomération dans une région où les contacts avec les territoires du centre de la Lyonnaise et de la Germanie supérieure ont pu se développer à la fin de l’époque romaine. Béal 1984 : J.-Cl. Béal, Un artisanat tardif du bois de cerf à Drevant (Cher), Bulletin des Amis du musée SaintVic, déc. 1984, 7-16. Bernhard 1999 : H. Bernhard, Germanische Funde in römischen Siedlung der Pfalz. In : T. Fischer, G. Precht, J. Tejral, Germanen Beiderseits des Spätantiken Limes. Materialien des X. Internationalen Symposiums “Grundprobleme der frühgeschichtlichen Entwicklung im nördlichen Mitteldonaugebiet” Xanten vom 2.-6. dezember 1997 (Spisy Archeologikého Ústavu av C&R Brno 14), Köln-Brno 1999, 15-42. Bertrand 2007 : I. Bertrand, Étude préliminaire du mobilier en métal (alliage cuivreux, fer et or), os et matériau minéral. Antiquité tardive - époque moderne. In : F. Gerber (dir.) et al., POITIERS 1 - rue Jean Jaurès, 42 - rue Saint Simplicien (“Les Hospitalières”) - 2005. t. 2. Étude du mobilier. Céramologie, petit mobilier, verre et numismatique. Rapport Final de Fouille. Inrap GSO. Poitiers 2007, 139-173. Bíró 2002 : M. T. Bíró, Combs and comb-making in Roman Pannonia : ethnical and historical aspects. In : Probleme der Frühen Merowingerzeit im Mitteldonauraum (Spisy Arch. Ústavu av C&R Brno 19), Brno 2002, 3171. Enfin, les études les plus complètes sur les peignes en os et bois de cerf romains tardifs s’appuient majoritairement sur des découvertes funéraires (Petitjean 1995 ; Bíró 2002) ; les ensembles provenant d’autres contextes sont plus rares (Thuet 2003) ou moins bien étudiés. Les caractéristiques des objets de Drevant – formes et décorations –, et leur association à un milieu artisanal en font une référence unique dans le centre des Gaules qui amène à s’interroger sur la diffusion des peignes et leur fabrication dans cette région et ses abords. Bitenc, Knific 2001 : P. Bitenc, T. Knific, Od Rmljanov do Slovanov. Predmeti. Ljubljana 2001. Chandevau 2002 : F. Chandevau, La motte castrale de Boves (Somme). Tabletterie et petits artefacts (Xe XVIe siècles), Revue Archéologique de Picardie 1/2, 2002, 25-71. Cribellier et al. 2004 : Ch. Cribellier, J.-Ph. Chimier, L. Fournier, M. Fincker, D. Josset, F. Metenier, G. Tendron, Le théâtre antique de Drevant. Fouille programmée pluriannuelle 2000-2003. Rapport de synthèse, vol. 1, Orléans 2004. Crummy 2001 : N. Crummy, Bone-working in Roman Britain : a model for itinerant craftmen ? In : M. Polfer L’artisanat romain : évolution, continuités et ruptures (Italie et provinces occidentales). Actes du 2e colloque d’Erpeldange 26-28 octobre 2001 (Monographies Instrumentum 20), Millau 2001, 97-109. Crummy, à paraître : N. Crummy, Personalised plates : the marketing and meaning of late Roman antler combs. (9) Fouilles Inrap 2005, sous la responsabilité de Frédéric Gerber. (10) Un peigne appartenant à la même période que ceux de Drevant, mais d’un type un peu différent, a été découvert récemment dans une petite nécropole à Boullay-Thierry, “La Callotière, La Noé” (Eure-et-Loir), dans une sépulture avec de la céramique du IVe s. Sa forme est en partie seulement restituable car il est fragmentaire et très altéré : plusieurs plaques dentelées accolées forment un peigne à denture unique et corps triangulaire ou arrondi, une des plaques qui recouvrait l’ensemble est décorée d’ocelles simples ; le tout était assemblé par des rivets en fer. Fouille H. Morzadec, Inrap 2001 ; renseignements D. Canny, Inrap, en charge de l’étude du petit mobilier. 192 I. Bertrand – Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher) Deringer 1967 : V.-H. Deringer, Provinzialrömische und germanische Knochenkämme aus Lauriacum, Jahrbuch des Öberosterreichischen Museälvereines 112, 1967, 57-74. Minni 2002 : D. Minni, La tabletterie romaine en Alsace, Cahiers Alsaciens d’Archéologie d’Art et d’Histoire XLV, 2002, 49-64. Motteau 1991 : J. Motteau, Catalogue des objets des fouilles 1973-1977 : Toilette. In : Recherches sur Tours vol. 5 (supplément n° 2 Revue Archéologique du Centre de la France), Tours 1991. 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