Le travail de l’os, du bois de cerf et
de la corne à l’époque romaine :
un artisanat en marge ?
Actes de la table ronde instrumentum,
Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005
sous la direction de
Isabelle Bertrand
co-édition
monique mergoil montagnac
Association des Publications Chauvinoises
2008
In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 1-2
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Le travail de l’os et du bois de cerf à l’époque romaine : bilan et
perspectives de la recherche sur un artisanat “mineur”
Isabelle BERTRAND – p. 3-13
Technologie des matières dures d’origine animale à l’Âge du Fer en
Europe celtique
Delphine MINNI – p. 15-23
Une grille d’analyse pour décrire et comparer des ateliers de tabletiers ?
Michel FEUGÈRE, Vianney FOREST, Philippe PRÉVOT – p. 25-33
Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première
approche
Annick THUET – p. 35-45
L’artisanat de l’os dans la ville-sanctuaire gallo-romaine du Vieil-Évreux
(Eure). État des connaissances
Laurent GUYARD – p. 47-53
avec la collaboration de S. Bertaudière, S. Zeller, C. Fontaine, J.-P. Goupy
Le travail de l’os à Rennes (Ille-et-Vilaine) à travers un canif à manche
sculpté trouvé 3-5 rue de Saint-Malo
Françoise LABAUNE – p. 55-63
avec la collaboration de G. Le Cloirec
Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C.
Dominique CANNY, Jean-Hervé YVINEC – p. 65-84
avec la collaboration de D. Labarre, M. Aubrun
Une fabrication de colle d'os dans le quartier de La Grande Boissière à
Jublains (Mayenne) ?
Vianney FOREST – p. 85-100
Le travail de l’os et du bois de cerf à Lemonum (Poitiers, F) : lieux de
production et objets finis. Un état des données
Isabelle BERTRAND – p. 101-144
1
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Os, bois de cerf et ivoire à Rom (Deux-Sèvres). Quelques éléments de
réflexion sur l'approvisionnement en matière première et la distribution
des objets dans l'agglomération
Isabelle RODET-BELARBI, Nadine DIEUDONNÉ-GLAD – p. 145-163
Un artisanat de l’Antiquité tardive dans le théâtre de l’agglomération
antique de Drevant (Cher). La production de fusaïoles et autres objets en
bois de cerf et os
Christian CRIBELLIER, Isabelle BERTRAND – p. 165-185
Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher)
Isabelle BERTRAND – p. 187-193
État des connaissances sur la production de l’os à Orange (Vaucluse, F).
Étude et comparaison des ateliers du travail de l’os
Philippe PRÉVOT – p. 195-229
Les matières dures animales (os, bois de cerf et ivoire) dans la vallée de
l’Hérault : production et consommation
Michel FEUGÈRE, Philippe PRÉVOT – p. 231-268
La collection de tabletterie du Musée romain de Nyon (CH)
Caroline ANDERES – p. 269-274
Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai
typologique
Émilie ALONSO – p. 275-281
Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines :
l’exemple de la tabletterie
Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENČNIK – p. 283-309
Letti funerari in osso di età romana: aspetti della produzione e diffusione
alla luce di alcuni rinvenimenti in Lombardia. Presentazione preliminare
di un letto da Cerveteri (Roma)
Chiara BIANCHI – p. 311-334
L’artisanat du bois de cerf à Iuvavum/Salzbourg, Autriche. Les manches
de couteau
Felix LANG – p. 335-342
2
In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 187-193
Peignes et étuis en os et bois de cerf
du théâtre de Drevant (Cher)
Isabelle BERTRAND
Les fouilles anciennes dirigées par G. Mallard ont
livré cinq peignes et un étui ; les travaux récents (1999)
menés sur le théâtre sont à l’origine d’un second étui.
Cet ensemble d’accessoires de la coiffure et de la toilette
se compose de modèles différents correspondant à
des productions gallo-romaines tardives encore trop peu
étudiées (2).
(1)
Os / alliage cuivreux
Inc. L. cons. : 107 ; l. : 52,7 ; ép. max. : 8 mm
L’extrémité conservée est profilée avec des angles
arrondis. Les appliques transversales (l. : 16 mm) sont
fixées par six séries de deux rivets en alliage cuivreux ;
elles portent cinq décors disposés irrégulièrement,
composés de triples ocelles entourés de six petits,
le tout compris dans un cercle. Certaines dents parmi
les plus larges sont anormalement courtes et ont
des extrémités rainurées et arrondies avec de petites
entailles ; soit le profilage aurait raté, soit une reprise
de leur profil après cassure aurait été amorcée mais
interrompue. L’objet est teinté de vert surtout autour
des rivets.
Peignes à double denture et baguette
transversale unique
Ces peignes sont formés de plaquettes dentées
accolées, maintenues entre deux plaquettes transversales ou traverses (3), placées sur chaque face ; le tout
est assemblé par des rivets en métal (alliage cuivreux ou
fer). Les décors apportés sur les traverses, la découpe et
l’ornementation des extrémités permettent la distinction
suivante :
3 – Peigne à décor rainuré sur les traverses et décor
d’ocelles sur les extrémités (fig. 1, n° 3)
N° : D. 907.48.127
Os / fer
Inc. L. totale : 65,5 ; l. : 37,5 ; ép. max. : 10,7 mm
Reste une extrémité de l’objet, soit un quart environ.
Les bords sont découpés ; sur les deux faces, un motif
d’ocelle double entouré de onze ou douze petits ocelles
(suggérant une fleur) occupe les parties arrondies.
Les traverses, larges de 11 mm et de section planconvexe, sont ornées de 2 x 6 rainures obliques
disposées en chevrons et fixées par des rivets en fer
(deux sont préservés).
1 – Peigne à décor rainuré sur les traverses (fig. 1, n° 1)
N° inventaire : D. 907.48.125
Os / fer
L. totale : 122 ; l. conservée : 59,8 ; ép. max. : 2,3 mm
Ce peigne conserve presque la totalité de ses dents
régulières ; les extrémités présentent une découpe
arrondie. Les traverses de forme rectangulaire, larges
de 14 mm et de section bombée, sont décorées de
sept séries de deux rainures croisées séparées par une
rainure transversale ; elles sont maintenues par six rivets
en fer.
4 – Peigne à décor rainuré sur les traverses et extrémités
ajourées (fig. 1, n° 4)
N° : D 996.7.10 /907.48.128
Os / fer ; dentures brisées presqu’en totalité.
L. totale : 93 ; l. conservée : 45 ; ép. maxi. : 2,3 mm
2 – Peigne à décor rainuré et ocellé sur les traverses et
extrémités aux bords sinueux (fig. 1, n° 2)
N° : D. 996.7.11 / 907.48.126 / 931.84.206
(1) Musées de Chauvigny ; chercheur associé à l’UMR 5140 CNRS Lattes (équipe Techniques, Productions et Consommations).
(2) Si pour les fusaïoles, le bois de cerf a été systématiquement utilisé, pour les peignes et les étuis, le matériau n’a pas été déterminé. À défaut,
dans certains cas, nous employons le terme générique d’“os”.
Dans la description : Inc. : incomplet ; L. : longueur ; l. : largeur ; ép. : épaisseur.
(3) Différents termes sont employés pour désigner ces éléments : plaques-appliques ou joues (Chandeveau 2002, 43).
187
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Fig. 1 – 1-5. Peignes provenant des
fouilles du théâtre de Drevant
(1901-1905) ; 6-7. Étuis provenant
des fouilles du théâtre de Drevant
(1901-1905 et 1999-2006) (Dessin :
J.-C. Cédelle).
1
2
3
4
0
3 cm
5
6
188
7
I. Bertrand – Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher)
Le corps se compose au centre de cinq plaquettes
dentées, longues de 11 mm. Deux plaques forment
les extrémités (L. : 16 mm max.), avec bordure externe
découpée pour former un motif de demi-cercle et de
pointes ; trois perforations circulaires sont ménagées
au niveau des arrondis. Les deux baguettes de maintien,
larges de 14 mm et de section plan-convexe, sont
ornées de rainures transversales aux extrémités, au
centre deux séries de deux rainures encadrent des
rainures obliques ; deux séries de chevrons se trouvent
sur les autres parties. Six rivets en fer sont alignés sur
l’axe médian de la baguette qui est fendue à plusieurs
reprises (4).
À l’ancien Archevêché de Sens (Yonne), un des peignes
découverts possède des extrémités et des traverses
pouvant être rapprochées des éléments de celui de
Drevant (Musée municipal de Sens, D.85.1.52) (5) ; de
même, une pièce semblable (extrémités avec perforations, décor de chevron sur les traverses) vient de
Genolier (Suisse) où elle est datée du Ve s. et côtoyait
des pièces de tradition burgonde (Escher 2006, 32).
1986, 21, variante C ; pl. 5, n° 56) (fig. 2) composé
de trois éléments : deux plaques formant le corps à
poignée arrondie, une troisième portant la denture. Les
dimensions de la pièce conservée à Drevant s’accordent
avec celles de ce type, caractérisé par sa taille importante et sa poignée arrondie.
Le motif est composé d’un entrelacs d’ocelles dont le
centre est souligné de petits cercles (diam. : 2 mm) ; audessus figurent des ocelles doubles (diam. : 6 mm). De
petits ocelles, identiques aux premiers, sont répartis
sur toute la surface, aux deux extrémités de l’entrelacs
et au-dessous.
La plaque est brisée au niveau de la base de la partie
arrondie qui formait la poignée ; de même à une
extrémité, la cassure a été aplanie. Deux perforations
circulaires accolées figurent à l’extrémité conservée ;
deux autres destinées à fixer la plaque dentée sont
apparentes, une troisième est occupée par un rivet
en fer. Le bord inférieur de la plaque ne porte pas les
traces laissées habituellement par la découpe des dents
– visibles en partie sur l’exemplaire d’Augst (Riha
1986, 23, abb. 6 ; Deschler-Erb 1998, pl. 29, n° 1987) ;
l’objet se serait brisé après assemblage avant la
réalisation de la denture. L’artisan a peut-être tenté de
réutiliser la pièce en réaménageant une extrémité, voire
en effectuant une seconde perforation sur l’autre.
Le peigne d’Augst est en bois de cervidé (DeschlerErb 1998, 169). Ce modèle à poignée semi-circulaire
est bien connu en Germanie (Bernhard 1999, 19, fig. 3) ;
en Pannonie, il est composé de cinq plaques et non de
trois comme à Drevant et à Augst, son décor comprend
des cercles ou des lignes ondulées, voire des motifs
zoomorphes (Bíró 2002, 49-55, fig. 100-144).
Peigne à simple denture et poignée arrondie
5 – Avec motif d’entrelacs (fig. 1, n° 5)
N° : D.996.7.26 / 907.48.78
Bois de cerf (?)
L. conservée : 124 ; épaisseur max. : 5,5 mm
Il ne reste de ce peigne – identifié comme un élément de
manche par J.-Cl. Béal (Béal 1984, n° 2) – que la partie
transversale d’une des deux plaques entre lesquelles
était maintenue par des rivets en fer, la plaque dentée.
Il s’agit d’un type décrit par E. Riha à Augst (Riha
Étuis
Deux étuis ont été mis au jour dans le théâtre de
Drevant.
6 – Étui (isolat 99007 ; US 2126) (fig. 1, n° 7)
Bois de cerf / fer ; en deux morceaux concordants,
collés.
L. : 124,7 ; l. : 24 ; ép. max. : 8 mm
Deux plaques sont assemblées par quatre rivets en fer ;
elles présentent une décoration de doubles ocelles
Fig. 2 – Peigne à poignée arrondie d’Augst (d’après DeschlerErb 1998, pl. 29, n° 1987 ; L. : 136 mm).
(4) Dans un article de 1906, J. Mallard montre un peigne à double denture avec trois ajours aux extrémités (comme le peigne n° 4) et des
traverses décorées, comme le peigne n° 1, de lignes croisées et droites (Mallard 1906, pl. XII, n° 18) ig. ?). Si elle existe réellement, cette pièce
réunit donc des traits examinés sur deux autres, ce qui conforte le caractère homogène du lot (cf. conclusions).
(5) Fiche de l’objet consultable dans la Base Joconde accessible depuis : www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr
Dimensions du peigne : L. 104 ; l. 53 mm ; os et fer.
189
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
(diam. : 5 mm) disposés irrégulièrement, à raison de
41 ocelles sur une face et 43 sur l’autre. Les deux angles
externes sont arrondis. L’ouverture destinée à recevoir la
denture du peigne a été élargie dans l’épaisseur des
plaques. Deux perforations circulaires situées près de
l’ouverture de l’étui, aux deux bouts, traversent les deux
plaques ; une rainure partant de leur bord vers le bord de
l’étui apparaît sur les deux faces, entre ces deux trous,
l’espace est de 78 mm.
Cet objet diffère du précédent par son assemblage
– seulement deux plaques rivetées –, son décor et ses
dimensions ; il s’approche d’étuis pareillement agencés,
dont les extrémités peuvent figurer un cheval (voir
Deschler-Erb 1998, n° 1988, pl. 29) et sur lesquels les
deux rainures obliques allant des perforations jusqu’au
bord sont remplacées par des fentes (Bitenc, Knific
2001, 27-28, n° 69-70).
Cette pièce provient de l’intérieur du bâtiment de scène,
de couches d’occupation de l’Antiquité tardive.
donc pas avec les exemplaires trouvés jusqu’à ce jour à
Drevant.
Il faut donc chercher des parallèles à cet objet, non pas
dans la zone septentrionale de l’Aquitaine, mais plus au
nord ou à l’est, jusqu’en Slovénie voire en Pannonie.
Un étui de conception similaire, provenant de Predjama
(Slovénie) est associé avec un peigne aux contours
découpés et ajourés et dont le corps est orné d’ocelles
répartis en ligne et en motif de fleur (Bitenc, Knific
2001, 28, n° 70 : fin IVe-Ve s.). Un peigne, découvert à
Vron (Somme) en contexte funéraire germanique, est
assemblé à un étui de type comparable (Petitjean 1995,
pl. V, 1 d’après Seiller 1989) ; à Lisieux (Calvados),
un même ensemble provient d’une tombe de la fin du
IVe s. (Lisieux 1994, 97, n° 239).
Commentaires
La prise en compte de plusieurs critères, en
s’appuyant notamment sur les distinctions émises par
M. Petitjean (Petitjean 1995) : décors et formes des extrémités, section et décor des traverses, conduit à émettre
quelques remarques typo-chronologiques (fig. 3).
7 – Étui (fig. 1, n° 6)
N° : D.996-7-40 / 907.48.130
Os / fer ; brisé à moitié environ.
Inc. L. conservée : 68,7 ; l. : 22,9 ; ép. max. : 4,5 mm
Cet étui est composé de quatre pièces. Deux plaques
rectangulaires aux angles arrondis, ornées de quatre
rainures en bordure et d’un entrelacs d’ocelles sur son
axe central, constituent les côtés. L’angle situé près de
l’ouverture, brisé en partie, était peut-être découpé
en motif zoomorphe. Les extrémités sont faites d’une
plaquette avec encoches circulaires en bordure ; une
autre plaquette forme le fond de l’étui, elle déborde du
corps de ce dernier ce qui fait apparaître un alignement
de petites perforations circulaires. Ces éléments sont
assemblés par des rivets en fer (4 sont conservés) : deux
fixent les extrémités, les autres maintiennent le fond de
l’étui.
Ce type d’étui correspond, d’après les ensembles
publiés, à un peigne de forme triangulaire, aux contours
parfois découpés en motifs zoomorphes ; il ne s’accorde
Les peignes à double denture n° 1 et 2 présentent
des caractéristiques de la fin de la période romaine,
IVe-Ve s. : largeur des traverses de 14 mm et section
rectangulaire voire bombée ; décor de rainures et
d’ocelles, extrémités profilées pleines.
Le peigne à poignée arrondie (n° 5), dont le
modèle est considéré comme d’origine germanique
(Ibid., 150), est présent à Augst dans un contexte
de 350-400 ap. J.-C. ; son motif (entrelacs d’ocelles)
est repris sur des pièces datées du IVe - début Ve s. en
Slovénie.
Enfin, l’étui n° 1 s’apparente à des objets dont les
datations s’échelonnent de la fin du IIIe au Ve s. Le
second étui illustre un autre type dont la datation est
confirmée par son contexte : il provient d’un niveau de
réoccupation du bâtiment de scène du théâtre contenant
de la céramique du IVe s.
Fig. 3 – Formes et décors des peignes et étuis de Drevant (P : peigne ; E : étui).
190
I. Bertrand – Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher)
Deux peignes à double denture (n° 3 et 4) diffèrent
des précédents par quelques traits : extrémités très
découpées voire ajourées, traverses de section planconvexe et décor de chevrons. Ce dernier, décrit par
M. T. Bíró comme “the pine-needle motif”, se trouve
sur des pièces de la fin de la période romaine comme
sur des pièces postérieures, en Suisse actuelle jusqu’en
Pannonie (Bíró 2002, 39-40). Sur le peigne 3, sont
combinés des motifs d’ocelles en cercles et des chevrons
avec des extrémités profilées, tandis que l’exemplaire
n° 4 comporte des extrémités ajourées et un décor
de chevrons sérés. Ces deux peignes illustrent une
production, par quelques traits différente, mais caractéristique également du Ve s.
Alors que les structures métallurgiques attestées
paraissent destinées à des artisans permanents ou du
moins installés pour une certaine durée, rien ne permet
d’envisager une situation similaire pour les artisans
spécialisés dans le travail des matières dures animales (6).
Nous ne savons pas si le fabricant de fusaïoles est aussi
un pectinarius. Comme cela a été montré précédemment, le premier a besoin, pour réaliser ces pièces, de
bois issus de la chasse, s’il veut disposer de la matière
la plus appropriée, mais peut également recourir aux
bois de mue ; dans les deux cas, il est donc étroitement
lié aux périodes de collecte de ces derniers. En revanche
le second, s’il utilise les parties des bois, mais aussi
d’autres ossements, peut étaler son travail sur une
période plus longue. La récurrence des décors présents
sur les peignes et les étuis, également sur certaines
plaquettes et parures venant du site (voir catalogue
supra, p. 175), confirme au moins l’existence d’une
communauté artisanale d’inspiration et aux techniques
similaires.
Quatre des peignes sont maintenus par des rivets
en fer, technique qui prédomine dans les provinces
romaines à la fin de la période selon M. Petitjean
(Petitjean 1995, 153-154), alors que la tradition
germanique privilégie les rivets en alliage cuivreux ;
seul un peigne à double denture (n° 1) est riveté avec
ce métal. Au cours du haut Moyen Âge, le fer reste
prioritairement utilisé pour l’assemblage.
Les réflexions menées en Bretagne à partir des
peignes à double denture ont montré que ces accessoires
étaient fabriqués par des artisans se déplaçant sur
les marchés ; dans certains cas, cette production se
déroulait également dans un atelier fixe (Crummy 2001,
107).
L’ensemble de peignes et d’étuis de Drevant se
révèle donc typologiquement varié tout en présentant
une chronologie relativement homogène. Les traditions
romaines tardives sont majoritairement présentes à
travers les modèles représentés et les techniques de
mise en œuvre des objets ; néanmoins, quelques traits
ornementaux plus récents semblent faire leur apparition
sur quelques pièces.
À Drevant, si ces artisans étaient itinérants, ils
pouvaient s’installer à certaines époques auprès des
métallurgistes. Ils ont pu apporter certaines de leurs
productions et les vendre sur place après avoir achevé
une partie de la décoration, notamment celle des
extrémités – ce processus ayant été mis en évidence
à partir de pièces romano-bretonnes par N. Crummy
(Ibid., 105-107 ; Crummy, à paraître) ; de même,
réparaient-ils peut-être certains objets, comme l’indiquerait la denture irrégulière et non profilée d’un des
peignes (n° 2).
Ces objets sont essentiellement issus des recherches menées dans l’orchestra et le bâtiment de scène
du théâtre ; la nature artisanale des réoccupations de
l’édifice a été confirmée par les fouilles menées depuis
1999 (voir supra Cribellier, Bertrand, p. 165).
La répartition des déchets liés au travail du bois
de cerf et de l’os atteste la pratique de cette activité
dès le IVe s., elle se déroule en parallèle du travail des
métaux (fer et vraisemblablement les alliages cuivreux)
aux IVe et Ve s.
En Aquitaine, des peignes en os ou bois de cerf
à double denture et traverse simple apparaissent en
contexte du Bas-Empire notamment à Poitiers (Vienne)
(cf. infra Bertrand, p. 101) et à Beaumont (Naintré) dans
une sépulture (7) ainsi qu’à Bourges (Cher) (Ruffier,
Troadec 1985, pl. 15) (8). Ils sont également présents
en contexte plus récent (haut Moyen Âge) comme à
Chasseneuil-sur-Bonnieure (Charente) avec des formes
Les peignes et les deux étuis sont vraisemblablement associés à une même occupation du site – celle
correspondant à la période 5 (Cribellier et al. 2004, 1523) – en relation avec un ou des artisans du lieu.
(6) La répartition des déchets d’après les fouilles récentes tendrait à prouver la saisonnalité de l’activité ; cependant, comme l’a rappelé
Ch. Cribellier plus haut, nous ne connaissons pas la quantité de matière première ou de déchets que les fouilles anciennes ont pu découvrir et
qui n’aurait pas été conservée.
(7) Naintré (Vienne). Deux tombes exceptionnelles de la fin de l’Antiquité. Dossier de presse 6 avril 1998, DRAC Poitou-Charentes, p. 4. Ils
sont sans doute présents ailleurs, mais les données publiées font défaut.
(8) À décor de rainures ou de petits ocelles groupés avec extrémités ajourées.
191
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Bibliographie
à simple ou double baguette (Poignant et al. 2005).
Récemment à Poitiers, à l’emplacement des Hospitalières, un peigne assemblé par des rivets en fer, à
baguettes ornées de chevrons et d’ocelles, dont les
extrémités sont découpées et perforées, a été prélevé
dans une des tombes des Ve-VIe s. (Bertrand 2007, 143144, n° 22) (9).
Les peignes à poignée arrondie ou triangulaire
et les étuis, qui sont bien connus dans le nord-est des
Gaules, dans le nord de la Lyonnaise et en Gaule
Belgique (10), sont nettement moins nombreux voire
inexistants dans les zones plus occidentales. Ils restent
confinés au nord de la Loire et à l’est du Cher ; ainsi
à Tours (Indre-et-Loire) ont été trouvés un peigne
triangulaire à décor zoomorphe stylisé et un étui orné
d’ocelles, tous les deux seraient en bois de cerf
(Motteau 1991, 42-43, n° 217 et 218).
La présence de pièces de tradition germanique
à Drevant, également relevée au sein du mobilier
en alliage cuivreux (pendant de ceinture, US 1113),
s’explique par la position de l’agglomération dans une
région où les contacts avec les territoires du centre de
la Lyonnaise et de la Germanie supérieure ont pu se
développer à la fin de l’époque romaine.
Béal 1984 : J.-Cl. Béal, Un artisanat tardif du bois de
cerf à Drevant (Cher), Bulletin des Amis du musée SaintVic, déc. 1984, 7-16.
Bernhard 1999 : H. Bernhard, Germanische Funde in
römischen Siedlung der Pfalz. In : T. Fischer, G. Precht,
J. Tejral, Germanen Beiderseits des Spätantiken Limes.
Materialien des X. Internationalen Symposiums “Grundprobleme der frühgeschichtlichen Entwicklung im
nördlichen Mitteldonaugebiet” Xanten vom 2.-6.
dezember 1997 (Spisy Archeologikého Ústavu av C&R
Brno 14), Köln-Brno 1999, 15-42.
Bertrand 2007 : I. Bertrand, Étude préliminaire du
mobilier en métal (alliage cuivreux, fer et or), os et
matériau minéral. Antiquité tardive - époque moderne.
In : F. Gerber (dir.) et al., POITIERS 1 - rue Jean Jaurès,
42 - rue Saint Simplicien (“Les Hospitalières”) - 2005.
t. 2. Étude du mobilier. Céramologie, petit mobilier,
verre et numismatique. Rapport Final de Fouille. Inrap
GSO. Poitiers 2007, 139-173.
Bíró 2002 : M. T. Bíró, Combs and comb-making in
Roman Pannonia : ethnical and historical aspects. In :
Probleme der Frühen Merowingerzeit im Mitteldonauraum
(Spisy Arch. Ústavu av C&R Brno 19), Brno 2002, 3171.
Enfin, les études les plus complètes sur les peignes
en os et bois de cerf romains tardifs s’appuient majoritairement sur des découvertes funéraires (Petitjean
1995 ; Bíró 2002) ; les ensembles provenant d’autres
contextes sont plus rares (Thuet 2003) ou moins bien
étudiés.
Les caractéristiques des objets de Drevant
– formes et décorations –, et leur association à un milieu
artisanal en font une référence unique dans le centre
des Gaules qui amène à s’interroger sur la diffusion des
peignes et leur fabrication dans cette région et ses
abords.
Bitenc, Knific 2001 : P. Bitenc, T. Knific, Od Rmljanov
do Slovanov. Predmeti. Ljubljana 2001.
Chandevau 2002 : F. Chandevau, La motte castrale de
Boves (Somme). Tabletterie et petits artefacts (Xe XVIe siècles), Revue Archéologique de Picardie 1/2,
2002, 25-71.
Cribellier et al. 2004 : Ch. Cribellier, J.-Ph. Chimier,
L. Fournier, M. Fincker, D. Josset, F. Metenier,
G. Tendron, Le théâtre antique de Drevant. Fouille
programmée pluriannuelle 2000-2003. Rapport de
synthèse, vol. 1, Orléans 2004.
Crummy 2001 : N. Crummy, Bone-working in Roman
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(9) Fouilles Inrap 2005, sous la responsabilité de Frédéric Gerber.
(10) Un peigne appartenant à la même période que ceux de Drevant, mais d’un type un peu différent, a été découvert récemment dans une petite
nécropole à Boullay-Thierry, “La Callotière, La Noé” (Eure-et-Loir), dans une sépulture avec de la céramique du IVe s. Sa forme est en partie
seulement restituable car il est fragmentaire et très altéré : plusieurs plaques dentelées accolées forment un peigne à denture unique et corps
triangulaire ou arrondi, une des plaques qui recouvrait l’ensemble est décorée d’ocelles simples ; le tout était assemblé par des rivets en fer. Fouille
H. Morzadec, Inrap 2001 ; renseignements D. Canny, Inrap, en charge de l’étude du petit mobilier.
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